Civilisation

UN CONCEPT ASIATIQUE CAPITAL : LA FACE

On ne peut pas comprendre le comportement quotidien des Asiatiques sans connaitre le concept de la Face (chinois mian zi, vietnamien mât), hérité du confucianisme, car il découle de la conception de la hiérarchie sociale selon Confucius. En Chine, elle est « le bien le plus précieux d’un individu », mais c’est au Vietnam que la notion de Face est la plus développée. Elle se décline en deux volets : la Face individuelle est celle définie par le niveau de statut social et de prestige acquis de naissance par la position sociale des parents ; elle détermine les actions et le respect que chaque individu attend des autres. La Face communautaire est le niveau de respect que chaque individu pense nécessaire de montrer envers un autre.


Une personnalité pleine de Face :  Đéo Van Tri, chef des Pavillons Noirs

Cette notion de Face est omniprésente. Il est de bon ton de gagner de l’argent pour acquérir de la Face, et de montrer sa richesse par des signes extérieurs : le fameux diner chinois de 40 plats est une manifestation de la Face de l’hôte, qui, à un autre niveau, doit avoir une femme couverte des plus beaux vêtements et bijoux (qu’elle exige d’ailleurs pour ne pas perdre la Face vis-à-vis des autres femmes, y compris de ses amies), le tout quitte à crouler sous les dettes. Au nom de la Face, on ne contredit ou critique pas ouvertement, et surtout pas devant d’autres personnes, c’est une perte de face terrible pour l’interlocuteur.

Par contre, il est de bon ton de complimenter en public, celui que l’on complimente gagnant de la face, mais il ne faut pas trop complimenter devant d’autres personnes, sinon on fait perdre la face à ceux présents qui méritent un plus grand compliment.

On ne crie pas après quelqu’un, on perd la face et on la fait perdre à celui après lequel on crie (bien que cette coutume soit loin d’être suivie en Asie !). Faire des cadeaux est très compliqué, car il faut qu’ils soient au niveau de la position de la personne à laquelle on les fait afin qu’il n’y ait pas perte de face ; on n’ouvre jamais un cadeau devant celui qui l’a fait, de peur de lui faire perdre la face en montrant sa déception. Combien d’employeurs occidentaux ont perdu le respect d’un employé pour l’avoir réprimandé devant ses collègues – il lui a fait perdre la face -, ou de tous ses employés pour s’être énervé devant eux – c’est alors lui qui l’a perdue ! On ne montre pas ses sentiments, la fameuse impassibilité asiatique, qui ne veut pas dire qu’on ne ressent rien, mais il ne faut pas le montrer, d’où l’étonnante attitude des Asiatiques de rire devant un malheur. Les inégalités hiérarchiques et de salaire entre employés français et vietnamiens et le tutoiement des « Indigènes » par les coloniaux, ce dernier causant une perte de face s’il en était pour les locaux et finalement interdit – ainsi que le mot « Indigène » – par l’amiral Decoux en 1940, ont causé au Vietnam autant de ressentiment que les mauvais traitements.

Au Vietnam, pour afficher leur Face, les familles se ruinent pour le mariage des enfants, une grande festivité de deux ou trois jours et de très nombreux invités. Ayant demandé un jour à une amie vietnamienne pourquoi elle avait remplacé sa Toyota par une grosse Mercedes, très chère au Vietnam, alors qu’elle conduit très peu, sa réponse a été typique : « Tu comprends, je suis devenue une personne importante ici, donc il me faut une belle voiture. » Une conséquence ennuyeuse de la notion de Face est le fait qu’on la perd si on répond « Je ne sais pas » à une question ; donc, plutôt que d’avouer son ignorance, on répond n’importe quoi.


Un autre pour lequel la Face est tout.     
Pour la récupérer après son fiasco du       
Grand bond en avant, il a lancé la          
Révolution culturelle                         

Malheur aux professeurs occidentaux attachés aux bons résultats ! Les élèves asiatiques qu’il questionne restent muets, car ils ont peur de perdre la Face envers le professeur et leurs camarades de classe s’ils disent « Je ne sais pas » ou donnent une fausse réponse.

Bref, tout est affaire de Face et ce sont les Viet qui sont les plus ardents à en suivre les règles. Ancien gouverneur de l’Indochine, Alexandre Varenne explique à l’amiral d’Argenlieu avant son départ pour Saïgon : « L’Annamite, entre tous les Asiatiques, est psychologiquement d’une extrême susceptibilité. Son sens de la face est des plus accusé, il y tient et veut la garder… Les blessures occultes faites à la fierté native des Annamites peuvent s’accumuler des dizaines d’années. Qu’une opportunité imprévisible et imprévue s’offre, elle peut provoquer de graves réactions.»  

Comments are closed.